[dropcap]L[/dropcap]e film se déroule en 1979, à la fin de l’âge d’or du porno, juste avant les années sida. Le scénario retranscrit à merveille, malgré les crimes perpétués, cette période insouciante et débridée où les corps et les esprits étaient bien aussi libérés que maintenant sauf qu’ils étaient moins individualistes et l’on ressent cette prégnance du collectif dans le scénario et le jeu des acteurs. Ainsi Anne, même si son amour est impossible, n’est pas vraiment seule, elle a une équipe autour d’elle. Il y a beaucoup de scènes collectives : les scènes de tournage, les picnics, la salle de cinéma, la salle de backgrounds…Celle qui est la plus seule c’est Loïs, la monteuse mais elle rejoint aussi fréquemment ses amies en boite de nuit…Dans ce film, on oscille en permanence entre Eros et Thanatos, l’érotisme comme la mort rodent, à des intensités variables, autour des personnages.
Un couteau dans le cœur est gracieux, atypique et sans tabous. Ce n’est jamais glauque, les scènes sont jouées avec le recul nécessaire et ce qu’il faut d’irrévérence pour nous rendre cet univers sympathique et capter notre attention. On se prend au jeu, on veut comprendre. Mais qui peut bien être ce tueur masqué accompagné d’un oiseau de mauvais augure, quelles sont ses motivations, pourquoi s’attaque-t-il exclusivement à l’entourage professionnel d’Anne ? Son objectif n’est pas simplement de tirer son coup (au sens propre et figuré) on perçoit une vérité plus sombre en arrière-plan.
Le film est également romantique sans sombrer dans la guimauve avec une alternance de tendresse, de tension, de poésie et de confrontation. Il faut du talent pour filmer l’ambivalence des sentiments, des corps et des situations. Il n’y a qu’un pas de travers à faire pour trébucher dans le nanard, la prise de risque est forte mais Yann Gonzalez réussit l’épreuve haut la main. Son film est juste, sulfureux, un réel ovni enthousiasmant.
Les scènes de sexe et d’assassinats ne sont pas gores ni gratuites, elles servent l’intrigue on songe à des films cultes comme Maladolescenza ou encore Salo de Pasolini.
Notons aussi le travail sur la couleur, rien n’est laissé au hasard : le noir des salles de cinéma, le noir et blanc des rêves, les couleurs rouges et oranges, la tonalité blanche puis grise…Le réalisateur sait ce qu’il fait.
Les acteurs ne s’y sont pas trompés et on perçoit leur confiance vis à vis du réalisateur car ils n’hésitent pas à prendre des risques eux aussi : Vanessa Paradis ne cherche pas à être belle mais juste dans ce rôle de femme ravagée par l’alcool et un amour impossible pour sa monteuse, Loïs. Elle est habitée du début à la fin, comme l’ensemble de la distribution, étonnant Nicolas Maury découvert dans la série Dix pour cent.
Mention spéciale aussi à Khaled Alouach, dont on avait déjà remarqué l’impressionnante palette de jeu dans De toutes mes forces, et qui confirme ici son appétence pour le métier d’acteur au sens propre : incarner des rôles variés, éloigné de la personnalité de l’interprète. Il joue ici deux personnages (Nans et Fouad). Ses apparitions sont saupoudrées mais toujours efficaces. Peu d’acteurs de son âge aurait eu la maturité pour jouer ce rôle d’ouvrier qui devient un acteur X (mais un vrai acteur n’a pas d’âge et il l’a bien compris). Il arrive même à jouer une scène triviale avec le sourire tout en gardant un parfum d’innocence, c’est assez incroyable…Son rôle est également une vraie prise de risque et démontre qu’il explore les voies transverses, les options, les possibles du métier d’acteur au travers d’une saine diversification…
A la façon du film qui nous égare sur de fausses pistes, n’explique pas tout, nous perd en chemin de l’intrigue pour mieux nous retrouver. It’s smell like inflammatory spirit…Laissez-vous consumer, c’est un film qui vaut vraiment le coup !
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